La traduction, une activité à haute valeur ajoutée

Le collectif En chair et en os, défendant une traduction humaine et développant un discours technocritique sur la prétendue « traduction automatique », a lu avec attention la charte IA (« intelligence artificielle ») dont s’est récemment doté Mediapart.

Cet article a initialement été publié sur notre blog dans le Club de Mediapart.

Le collectif salue l’effort de transparence du journal, et souligne que la charte témoigne d’une conscience des dangers (sociaux, écologiques, politiques) de l’usage de l’IA générative (IAg). Néanmoins, nous nous étonnons de la large concession exprimée dans un article de la charte, ironiquement intitulé « Donner la priorité à l’humain » : « L’IA peut toutefois être utilisée notamment pour permettre aux salarié·es de Mediapart de travailler plus efficacement (retranscription d’entretiens sonores, traduction de textes, résumés d’articles…), afin de pouvoir consacrer davantage de temps à des tâches ayant une haute valeur ajoutée. »

Que les journalistes de Mediapart se consacrent à « des tâches ayant une haute valeur ajoutée » est évidemment essentiel. Mais la traduction humaine peut-elle décemment être présentée comme « à faible valeur ajoutée », quand, d’une part, elle suppose un très haut niveau de qualification et un effort permanent de formation continue, et que, d’autre part, elle seule permet d’éviter les biais « sexistes, raciaux, linguistiques, Nord/Sud, etc. » dûment cités en préambule de la charte ? On rappelle en outre que, dans un monde où la traduction sera déléguée à la machine et où l’on cessera de former des traducteurices, il n’y aura plus personne pour évaluer la qualité de la traduction machine. Il est donc capital de continuer à faire appel à des traducteurices humain.es pour épauler les journalistes dans leur propre travail à haute valeur ajoutée. L’organisation sociale de la profession permet sans difficulté l’embauche rapide et efficace de personnes très qualifiées. 

L’usage de la traduction automatique n’est pas moins dramatique écologiquement et socialement que tous les autres usages de l' »IA générative », et il n’y a donc pas de raison qu’un journal conscient de ces enjeux fasse une exception pour la traduction. En outre, il est permis de se demander comment cette concession de Mediapart pour le domaine de la traduction est compatible avec les autres articles de la charte, en particulier « Ne pas nourrir l’IA aux dépens des auteur.es ». Faire traduire un texte (littéraire ou pragmatique) par l’IA, c’est s’appuyer sur des données dont l’origine n’est jamais explicitée et dont l’usage contrevient très souvent au droit d’auteur. Certes, l’article précise vouloir s’appuyer sur « des outils et des modèles qui prennent en compte des questions clés telles que l’autorisation, la transparence et la juste rétribution des auteur·es. » En termes clairs, cela veut dire que les modèles d’IAg susceptibles d’être utilisés par Mediapart auraient recours à la « compensation », système où les auteurices accepteraient l’exploitation de leurs œuvres en échange d’une compensation financière dont le calcul reste à déterminer, mais dont il est à craindre que, comme ce qui a eu lieu pour la musique avec les plateformes de streaming, il soit violemment inégalitaire et injuste. Aucun modèle n’a pour l’instant mis en œuvre cette compensation, et les traducteurices continuent de s’opposer massivement à sa mise en place.

Nous nous tenons à disposition de Mediapart pour en discuter : d’autres modèles sont possibles, à coûts économiques constants et aux bénéfices sociaux, énergétiques, anthropologiques évidents.